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French

Eastern Narratives

le Japonisme

Après 1860, l'Extrême Orient, et en particulier le Japon, devient à son tour une source d'inspiration majeure pour les peintres français, qui opèrent une révolution dans leur art. Avec l'ouverture de Meiji, les relations d'échange s'intensifient avec le Japon. Les artistes européens découvrent, parmi d'autres merveilles, les estampes des peintres de l'ukiyo-e (Scènes du Monde flottant) aux expositions de Londres (1862), et de Paris (1867, 1878 et 1889), ainsi que chez des collectionneurs privés comme Samuel Bing, et Félix Bracquemond. Les frères Goncourt publient un ouvrage sur Hokusai en 1896.

Désormais, l'inspiration venue de l'Orient imaginé ou rencontré se transforme en influence : en étudiant les estampes d'Utamaro, de Hokusai, de Hiroshige ou de Eisen, les peintres impressionnistes trouvent des voies d'exploration qui bouleversent l'ordre académique établi : de nouvelles conceptions se présentent pour les couleurs et la lumière, les lignes, la composition et la perspective mais aussi pour les sujets. Dans une série d'articles publiés en 1872 pour la revue Renaissance littéraire et artistique, le collectioneur Philippe Burty donne un nom à cette révolution : le japonisme.

Avec son Olympia (1863), Edouard Manet (1832-1883) replaçait le sujet classique - le nu féminin - dans un environnement oriental, évoquant ainsi la figure de l'odalisque. En 1868, dans son portrait d'Emile Zola, Manet signale la présence du Japon dans les mileux artistiques et littéraires en plaçant un paravent de style japonais et une estampe près du fondateur du naturalisme. Manet intègre par ailleurs dans ses oeuvres des techniques familières aux artistes de l'ukiyo-e : sujets coupés par les limites du cadre, suppression de l'horizon pour obtenir un plan plat (En bateau, 1874) ou intrusion d'éléments verticaux qui brisent l'unité du plan (Le Chemin de fer, 1873).

 

Claude Monet (1840-1926) possédait une collection de 250 estampes qui sont aujourd'hui exposées dans sa maison de Giverny. Dans le jardin de cette maison se tient toujours le petit pont de style japonais qu'il a peint aux quatre saisons : son reflet dans l'eau se mêle aux nymphéas dont les couleurs ont fasciné l'artiste. Il a trouvé ces couleurs dans les estampes d'Hiroshige, peintre-voyageur des paysages du Tokkaïdo. Monet n'a pas résisté à la tentation de peindre sa femme (La Japonaise, 1876), dans un kimono au rouge vif, un éventail déployé près du visage, à la manière des beautés d'Utamaro.

 

Van Gogh (1853-1890) possédait lui plus de quatre-cents estampes, aujourd'hui visibles au musée d'Amsterdam qui lui est consacré. Ce peintre hollandais, qui a passé les quatre dernières années de sa courte vie à Paris et en Provence (il se suicide à l'âge de 37 ans), était probablement le plus fervent des japonistes : "Tout mon travail se construit pour ainsi dire sur les Japonais [...] L'art japonais est en décadence dans sa patrie, mais il jette de nouvelles racines chez les impressionnistes français", écrit-il à son frère Théo, en 1886. Van Gogh passait de longues heures à Paris à fouiller dans les réserves d'estampes de la galerie de Samuel Bing, qui écrivait dans sa revue Le Japon Artistique, en mai 1888 : "Cet art [japonais] s'est à la longue mêlé au nôtre. C'est comme une goutte de sang qui s'est mêlé à notre sang, et qu'aucune force au monde ne pourra éliminer". Van Gogh est le peintre des couleurs, du mouvement, de la fusion des éléments de la nature, dont les humains font partie. Il comprenait avec intuition l'intention des maîtres de l'ukiyo-e : saisir, dans sa fugacité, le mono no aware, la sensibilité aux choses du monde flottant, monde transitoire, à la fois vain et exaltant.

Edouard Degas (1834-1917) est le peintre du mouvement, des activités humaines des plus simples aux plus sophistiquées : il étudie avec passion le corps des danseuses de ballet, les attitudes des repasseuses, des femmes qui se coiffent, ou celles qui boivent de l'alcool aux terrasses des cafés. Son intérêt pour les poses et les attitudes humaines a été renforcé par sa découverte des estampes japonaises, et en particulier les mangas (croquis et dessins) de Hokusai, décrivant les gestes ordinaires de la vie quotidienne. Degas a visité l'Espagne et le Maroc en 1889.

Un des disciples les plus célèbres de Degas est Henri de Toulouse-Lautrec (1864-1901), qui a renouvelé l'art de l'affiche en France. Bien que très faible et dépourvu de l'usage de ses jambes, Lautrec a observé intensément la vie des artistes, des prostituées, de la clientèle des cafés-concerts et cabarets de Montmartre. Les estampes japonaises qu'il admirait avec Monet et Van Gogh lui ont suggéré les mouvements si caractéristiques de ses personnages. La signature de Lautrec était elle-même inspirée des sceaux (de censure) japonais qui figuraient sur les estampes.

Paul Cézanne (1839-1906) est le peintre des couleurs, celles de la Provence notamment, où il a rencontré Van Gogh. Sa peinture est caractérisée par des volumes obtenus par des touches de couleurs juxtaposées, ce qui le rapprochait des techniques utilisées par les impressionnistes. Cézanne a fait de nombreuses tentatives pour fixer sur la toile la fameuse Montagne Sainte Victoire près de la ville d'Aix-en-Provence. Ces peintures répétitives rappellent les multiples vues du Mont Fuji exécutées par Ando Hiroshige.

Paul Gauguin (1848-1903) appartient à la génération des peintres dits post-impressionnistes. Influencé à ces débuts par Monet, Degas et Pissaro, il a également entretenu avec Van Gogh une amitié courte mais tumultueuse au cours d'un travail en commun de quelques mois à Arles, en 1888. A partir de 1891, il quitte la France pour s'installer en Polynésie, et notamment à Tahiti, où il poursuit son travail jusqu'à sa mort. Ce sont ces images aux couleurs vives, symboliques plus que réalistes, proches de l'art "primitif" en contact avec la nature brute et encore pure, qui marquent le plus l'oeuvre de Gauguin. La série de ses Tahitiennes est probablement l'une des plus étonnantes et exotiques de l'histoire de la peinture française.

 


Comme Gauguin, Henri Matisse (1869-1954) appartient à la période post-impressionniste, post-japoniste : l'art de l'ukiyo-e n'est plus une révélation, mais une découverte qui a été assimilée, intégrée au développement de la peinture. Avec Matisse, maître du fauvisme, l'extraordinaire vivacité des couleurs et de la lumière dominent sur les formes, qui deviennent secondaires et se réduisent à des lignes. Matisse poursuit une recherche de l'essentiel, de l'abstraction absolue, qui exige la simplification extrême des moyens et le conduit à un art purement décoratif, annonçant l'art contemporain. Les couleurs de l'Orient ont aussi profondément intéressé Matisse, mais en comparant ses nombreuses odalisques à celles de Ingres ou Delacroix, près d'un siècle plus tôt, on mesure l'immense chemin parcouru.

 

 

Les arts et l'Orient

Les voyages et la découverte du monde par les Européens n'ont pas cessé de renouveler les arts comme les lettres sur le Vieux Continent. L'humanisme de la Renaissance, puis le classicisme, le romantisme, le réalisme, le symbolisme, l'impressionnisme, le cubisme, l'abstraction ou le figuratif, sont des mouvements qui se succèdent non pas en termes de substitution, ou de remplacement, mais dans une perspective progressive de juxtaposition et d'assimilation : la Grèce ancienne, puis le Moyen-Orient et l'Inde, la Chine, le Japon et enfin l'Afrique ont été tour à tour des lieux d'exploration, d'enquête et d'expérience pour des artistes européens toujours désireux de découvrir de nouveaux territoires de création.

 

 

 

 

 

© Denis C. Meyer-2009

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