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Abbé Grosier : Mercantillage des Chinois (1785)
[La Chine] est le pays du monde où la défiance est le plus nécessaire ; elle est même autorisée par l’usage et par la loi. Celui qui achète doit porter avec lui sa balance, autrement il risque fort d’être trompé sur le poids des pièces qu’on doit lui rendre. […] La maxime du marchand est que l’acheteur a pour principe de donner toujours le moins qu’il peut, et qu’il ne donnerait rien du tout, si le vendeur y consentait. Celui-ci, par la même raison, se croit fondé à tirer de l’autre le plus qu’il lui est possible. Ce n’est pas le marchand, disent-ils, qui trompe, c’est l’acheteur qui se trompe lui-même. […]
Le grand nombre de canaux et de rivières dont la Chine est pourvue, facilite le transport des marchandises de toute espèce ; et l’extrême population en accélère le débit. Tel marchand apporte dans une ville jusqu’à six mille bonnets relatifs à la saison ; ils seront vendus, jusqu’au dernier, en trois ou quatre jours. Au surplus, on lève boutique à peu de frais à la Chine. Une famille ne possède qu’un écu, quelquefois moins ; elle s’érige, avec ce peu de fonds, en famille marchande : elle achète de menues denrées dont le débit est sûr et prompt ; elle gagne, vit sobrement, accroît par là sa mise; et au bout de quelques années, il n’est point rare de voir l’échoppe se changer en magasin.
Les foires de l’Europe les plus fréquentées ne sont qu’une faible image de cette foule incroyable de vendeurs et d’acheteurs qui s’agitent sans cesse dans les grandes villes de la Chine. On peut presque dire que la moitié est occupée à tromper l’autre. […] Les gens du peuple sont surtout fort adroits à falsifier, à dénaturer en total ce qu’ils vendent. Vous croirez avoir acheté un chapon, vous n’en avez que la peau ; tout le reste a été supprimé, et le vide rempli si industrieusement, que l’instant de manger le chapon est le seul où la fraude puisse être reconnue.
On a cité plus d’une fois les faux jambons de la Chine. C’est une pièce de bois, taillée en forme de jambon, recouverte d’une certaine terre, couverte elle-même d’une peau de cochon. Le tout est si artistiquement peint et arrangé, qu’il faut user du couteau pour découvrir la supercherie.
Description générale de la Chine ou Tableau de l’état actuel de cet empire. 1785
© Denis C. Meyer-2016